Ralph Meyer, la passion du dessin

Ralph Meyer, influencé par Jijé ( Jean Valhardi, Jerry Spring, Blondin et Cirage, etc.) et Jean Giraud (alias Moebius, papa du fameux Blueberry, élève du même Jijé), a su trouver son style aussi bien dans le découpage de sa mise en page que dans la narration des aventures de Undertaker, personnage improbable, anti-héros mais ô combien charismatique, totalement inattendu dans le monde du Western (coup de chapeau au scénariste Xavier Dorison ainsi qu’à la mise en couleur de Caroline Delabie). C’est pour toutes ces raisons que je l’ai contacté pour illustrer les deux albums de La Même tribu, recouvrant des duos sur mes chansons. Je garde un excellent souvenir de notre travail en commun et ose espérer retrouver Ralph pour concevoir une intrigue policière magnifiée par son dessin (on peut toujours rêver, non ?) Voilà, c’est dit, encore mille remerciements.
Eddy Mitchel


RALPH MEYER,
LA PASSION DU DESSIN


Lorsqu’il parle de son métier, Ralph Meyer a des crayons dans les yeux et des pinceaux dans les mots. Depuis sa fracassante entrée en bande dessinée avec le triptyque Berceuse Assassine sur un scénario de Philippe Tome jusqu’au succès actuel d’Undertaker, écrit par Xavier Dorison et mis en couleurs avec Caroline Delabie, Ralph Meyer suit la même ligne de conduite. On la retrouve dans sa contribution à XIII Mystery aussi bien que dans IAN, Asgard ou Page Noire. Comme un jazzman en quête de sa note bleue, il recherche le mariage parfait entre l’encre et le papier. Ses obsessions ? Cadrage, lumière, mise en scène.
Propos recueillis par Thierry Bellefroid, journaliste



Photo : ©Thierry Sauvage

Venu à St-Luc à Liège pour apprendre un métier qui le faisait rêver, Ralph Meyer ne savait pas qu’il y vivrait finalement plus longtemps qu’à Paris. Aujourd’hui, partageant sa vie entre Liège et Barcelone avec sa petite famille, le dessinateur de la série Undertaker sort de ses cartons quelques-uns de ses plus beaux dessins et des planches d’une stupéfiante beauté. Dessins à l’encre de chine, grandes images en couleur mêlant diverses techniques de peinture dont l’aquarelle, la gouache et l’acrylique, et sur divers supports allant des papiers Schoellerhammer ou Arches à la toile de peintre : il y en aura pour tous les goûts. L’occasion de jeter un oeil dans le rétroviseur et de mesurer le chemin parcouru depuis une première oeuvre inoubliable : Berceuse assassine.

Comment le jeune Français passionné de bande dessinée a-t-il un jour débarqué à Liège pour y apprendre le métier ? Et comment a-t-il d’emblée publié un premier livre en compagnie d’une star de l’époque, scénariste de plusieurs séries à succès, dont Spirou et Fantasio ?
Je me souviens d’un petit fascicule dans un magazine des éditions Glénat, Circus, je crois, qui s’intitulait : « Comment devenir auteur de BD ? » On y parlait notamment des écoles de bandes dessinées qui étaient à l’époque une création assez récente, dont St-Luc Liège. Je m’y suis inscrit, j’ai fait les trois ans d’études. Et je me suis dit, après des essais infructueux, qu’il fallait que je contacte des pros bien installés chez les éditeurs. Philippe Tome s’est imposé. Soda était une série qui me plaisait, et j’aimais encore plus le premier scénario noir de Tome, dessiné par Berthet dans la collection Aire Libre : Sur la route de Selma. J’ai obtenu ses coordonnées. Tenté ma chance. Et il m’a reçu chez lui, avec mon carton à dessin rempli de travaux qui partaient dans tous les sens. Il les a regardés attentivement. Deux pages ont attiré son attention. Elles étaient en noir et blanc, avec des lavis de gris. Ça lui a plu. Il m’a dit : « J’ai quelque chose pour toi ».

LOT n°16
RALPH MEYER
UNDERTAKER
L'Indien Blanc (T.5)
Dargaud 2019
Jonas sous les étoiles,
illustration originale
réalisée en 2019. Signée.
Encre de Chine sur papier
61,9 × 33,1 cm
(24,37 × 13,03 in.)
C'est une…

Fiche détaillée
Berceuse Assassine était déjà écrite, il n’y avait plus qu’à dessiner l’histoire ?
Pas tout à fait. Tome a commencé par me raconter le scénario qu’il avait écrit quelques années auparavant pour Gérard Goffaux, mais qui n’avait pas trouvé preneur chez les éditeurs. Il l’avait proposé ici et là, ensuite, mais cela n’avait pas mordu. L’envie d’aller dans cette veine fut une évidence pour moi. On rejoignait quelque chose qui était dans l’air à cette époque – Réservoir Dog était sorti au cinéma quelques années auparavant et d’autres films allaient dans le même sens. On s’est très vite dit qu’il fallait jouer avec le sépia. Mais qu’il fallait y ajouter une autre couleur, pour rompre la monotonie. Le jaune des fameux taxis new-yorkais fut une évidence. Les options graphiques se sont donc imposées très tôt. Elles ont été déterminantes dans ma carrière, d’ailleurs. Le réalisme était une option parmi d’autres pour moi à ce moment-là. Quant au scénario, il s’est construit peu à peu. Tome aimait pouvoir rebondir sur les idées visuelles de ses dessinateurs. Il n’écrivait donc jamais tout d’une traite.

Quel accueil a trouvé le livre auprès des éditeurs ?
J’ai réalisé les sept premières pages en noir et blanc et fait des mises en couleur pour lesquelles Philippe avait fait imprimer des bleus. J’avais beaucoup d’envie, de motivation, convaincu que je tenais là le projet que j’attendais depuis longtemps. On a envoyé le dossier chez Casterman, Dupuis et Dargaud. Ils ont tous répondu favorablement ! Philippe ayant tous ses livres chez Dupuis voulait aller voir ailleurs. Yves Schlirf, éditeur chez Dargaud, a été le plus convaincant.

LOT n°28
RALPH MEYER
BERÇEUSE ASSASSINE
Les Jambes de Martha (T.2)
Dargaud 1999
Planche originale n°40
Encre de Chine sur papier
34,9 × 46,7 cm (13,74 × 18,39 in.)
Cinq cases sur le seul premier strip, cette…

Fiche détaillée
Vous voilà embarqués dans l’aventure d’un triptyque new-yorkais pour un gros éditeur. Pour Tome, ce n’était pas forcément un exploit. Mais pour un jeune dessinateur tout juste sorti de l’école, c’était assez incroyable !
Cela tient avant tout à la notoriété et au talent indéniable de Philippe. Sa veine humoristique me parlait moins que ses autres productions, mais quoi qu’on regarde, on reconnaissait une bande dessinée qu’il avait écrite, même si les dessinateurs n’étaient pas les mêmes. C’est extrêmement rare. Tome avait un sens aigu de la mise en scène. Et il me l’a appris en me transmettant son scénario sous forme de story-board. Le reste, c’était surtout une question de documentation. Je n’avais jamais mis un pied à New York. J’ai passé une semaine là-bas après la sortie du premier tome. Mais pour réaliser cet album, je me suis appuyé sur une documentation monstrueuse : Philippe avait pris un nombre incalculable de photos de New York, tout comme Gazzotti. Ce qui était fabuleux, c’est qu’ils avaient photographié tout ce qui pouvait inspirer un dessinateur. Ces photos s’intéressaient plus aux détails qui rendent les choses crédibles, comme les poubelles, les chantiers, les panneaux de signalisation… loin des photos de touristes... Sur le traitement graphique, on allait vers un New York assez noir, plus Scorcese que Woody Allen, il nous fallait donc des éléments qui permettaient d’installer ces ambiances tranchées. J’ai compris dès cet album qu’il ne fallait surtout pas aller vers un dessin qui s’attache aux moindres détails mais opter pour une démarche plus « expressionniste » avec l’usage de beaucoup de noir et des éclairages tranchés. Cela se rapproche finalement de la grande tradition du film noir des années 30-40. À cet égard, M le maudit de Fritz Lang avait été un véritable choc esthétique durant mon adolescence et je crois que cela a été une grande influence pour la réalisation de cette trilogie. Aujourd’hui, malgré les défauts de jeunesse qui me sautent aux yeux, je suis très fier d’avoir dessiné les trois volumes de Berceuse. Ils m’ont appris mon métier. Et vingt ans après, il m’arrive encore régulièrement d’avoir des retours de lecteurs qui me disent que cette histoire a compté à un moment de leur vie. Plusieurs d’entre eux m’ont confié que cette histoire les avait ramenés à la bande dessinée, qu’ils avaient abandonnée à l’époque.

Quand on commence sa carrière par un tel carton, on est forcément étonné, non ?
Pour être franc, avec toute l’insouciance propre à la jeunesse, j’ai trouvé ce succès tout à fait normal. Le scénario de Philippe me paraissait tellement fort et original. Ce n’est que quelques années après la fin de la trilogie que j’ai pris conscience de la chance que j’avais eue et de l’impact profond que ces albums avaient pu avoir sur certaines personnes.

LOT n°13
RALPH MEYER
UNDERTAKER
Dargaud
Wanted!,
illustration originale
réalisée en 2018. Signée.
Acrylique sur papier
43 × 54 cm (16,93 × 21,26 in.)
Devant un mur aux tons orangés,
Jonas pose, main dans la poche,…

Fiche détaillée
Après ce très beau succès, il faut rebondir.
Je pense que je ne voyais pas les choses comme ça. Je travaillais en atelier à Liège, avec Bruno Gazzotti, notamment. Comme moi, il était tributaire des scénarios de Tome, très souvent en retard. On avait du temps libre à occuper, tous les deux. La première histoire des Lendemains sans nuages est venue d’une passion commune pour la Science-fiction… et de cette inaction ! On l’a fait paraitre dans Spirou, mais on s’est rapidement rendu compte que le scénario, c’était un métier. Dans le même magazine, il y avait un jeune scénariste qui publiait les premiers Green Manor avec Denis Bodart au dessin, c’était Fabien Vehlmann. Le courant est passé. Il a rejoint le projet. Il n’y avait pas d’enjeux, on s’est vraiment fait plaisir. Le livre est paru en 2001 au Lombard. Et l’amitié avec Fabien nous a poussés à faire autre chose, sans Bruno Gazzotti, cette fois.

Ce fut la série IAN, racontant les aventures de la première Intelligence Artificielle Neuromécanique. Elle n’a pas totalement trouvé son public.
En effet. Comme le personnage était éternel, on se disait qu’on pouvait partir d’un récit d’anticipation proche pour aller, pourquoi pas, vers du space opera. Mais les ventes n’ont pas été à la hauteur des espérances. Au 3e tome, on savait que c’était plié. On a donc conclu en un volume, aussi proprement que possible. IAN fut une expérience intéressante. J’étais seul maître à bord sur la mise en scène, c’était très formateur, d’autant que la régularité de parution me forçait à aller au charbon. C’est aussi l’arrivée de Caroline Delabie dans l’aventure. Elle est ma coloriste depuis IAN. Et ma  compagne de vie. Aujourd’hui, j’estime que nous sommes un trio : le scénariste, elle et moi. Elle intervient sur toutes les couleurs numériques de mes livres et dans nos discussions scénaristiques avec Xavier pour Undertaker.

LOT n°20
RALPH MEYER
UNDERTAKER
L'Indien Blanc (T.5)
Dargaud 2019
Planche originale n°28. Signée.
Encre de Chine sur papier
41,1 × 56,2 cm (16,18 × 22,13 in.)
Une planche d'action pure,
comme les aime Ralph Meyer.…

Fiche détaillée
Ce qui est étonnant, c’est qu’on a l’impression de saisir davantage les visages de personnages réels, dans IAN. L’un d’entre eux a de petits airs de Ralph Meyer himself. Un autre, le scientifique, ressemble étonnamment à Jean-Marc Aubry qui était délégué commercial à l’époque chez Dargaud. Un hasard ?
Pour ce qui est de ma pomme, c’est parfaitement exact ! En revanche, je n’avais jamais pensé à cette connexion avec Jean-Marc Aubry. En règle générale, je peux penser à une actrice ou un acteur. Récemment, par exemple, le personnage de Quint, le médecin psychopathe du second diptyque d’Undertaker, avait pour référence physique Bud Spencer. Son visage bonhomme et sympathique nous semblait intéressant en regard de sa véritable nature, froide et sans une once d’humanité. Après, je ne cherche pas du tout à avoir une ressemblance parfaite, au contraire. Cela me donne juste un axe pour animer le personnage.

Quand on regarde les albums de la série IAN, on voit l’influence passer de Giraud à Moebius, une forme d’épure s’installant peu à peu. Mais ensuite, il y a une vraie parenthèse graphique, chez Futuropolis.
Oui, Page noire, avec Frank Giroud et Denis Lapière au scénario. C’est un livre que j’aime beaucoup. J’avais très envie d’aller vers un dessin plus synthétique. Et j’avais soif d’expériences. Le livre s’y prêtait parfaitement. Je pouvais dissocier les deux récits et les aborder dans deux traitements graphiques différents. Le défi étant de faire en sorte que lorsque ces deux histoires se rejoindraient, les deux styles se fondraient naturellement. C’était très excitant d’avoir cette direction graphique qui permettait de faire écho au concept particulier du récit. Tout le contraire du projet suivant, qui marque la rencontre déterminante avec un autre grand nom du scénario, Xavier Dorison.




Photo : ©Thierry Sauvage


Comment passe t-on de Page noire chez Futuro à La Mangouste, premier spin off de la série XIII, chez Dargaud ?
Par un éditeur : Yves Schlirf. C’est lui qui nous a mariés. C’est quelqu’un d’important dans mon parcours. Un vrai éditeur à l’ancienne, présent même quand ça se passe moins bien. Quand il croit en ton travail, il va jusqu’au bout. Yves m’a proposé d’intégrer l’univers de XIII lorsqu’il était au tout début du projet XIII Mystery. Il m’a dit que je pouvais choisir mon personnage. Je ne savais pas quel en serait le scénariste. J’ai donc choisi La Mangouste sans savoir que j’allais travailler avec Xavier Dorison. J’ai appris plus tard qu’il était ravi que ce soit moi qui dessine son histoire et qu’il était un grand fan de Berceuse assassine. Berceuse et Page noire étaient deux livres qui permettaient de faire des expériences graphiques. À l’inverse, La Mangouste était un récit d’une densité incroyable. Xavier avait beaucoup à raconter sur le personnage, je me suis retrouvé à devoir parfois dessiner trois actions différentes dans trois décors différents sur la même page, sans compter les récitatifs. Pour chaque case, je devais être dans l’efficacité pure. Sur ce type de projet, on vient te chercher parce que tu as certaines aptitudes et tu dois les utiliser mais sans chercher à te mettre en avant. Tu n’es pas là pour faire le malin. Tu es là pour te mettre totalement au service du scénario. Ce fut une belle leçon d’humilité. Xavier m’a confié que c’était un récit qui avait compté dans son parcours. C’était donc notre cas à tous les deux. Ce fut un baptême assez intense pour une première collaboration mais une belle rencontre tant professionnelle qu’humaine.

L’envie de travailler sur un autre projet ensemble a été immédiate ?
Oui, mais elle a pris d’étranges détours, pour finalement arriver à Undertaker bien plus tard. Lors du brainstorming que nous avons fait pour sonder les univers qui pourraient nous rapprocher, j’avais déjà émis l’idée de faire un western avec un croque-mort. Mais nous avons dû mettre cette idée au frigo. Xavier a été contacté par Le Lombard qui cherchait à étoffer les spin-off autour de Thorgal. Il m’a proposé l’aventure. L’idée était de traiter le personnage de Pied d’Arbre. Il avait été assez loin dans le scénario. Moi, je n’ai fait que quelques développements. On a assez vite senti que cela ne marcherait pas avec nos interlocuteurs. Mais Xavier tenait beaucoup à ce scénario, dans lequel il avait mis pas mal de choses personnelles. Et on s’est aperçu qu’en gommer les aspects « thorgaliens » n’était pas très compliqué, puisqu’on pouvait très bien ne conserver de notre histoire que ce personnage avec un handicap dans une société viking. Yves Schlirf a été enthousiaste. Et nous sommes revenus chez Dargaud pour y faire Asgard.

Graphiquement, Asgard apparait comme une rupture. Le dessin prend de l’ampleur, la mise en scène joue sur les effets d’échelle, comme s’il y avait une forme de libération.
C’est très compréhensible. Pour la première fois, dans Asgard, je me libère d’une partie du travail technique qu’impose le dessin urbain, la rigueur de la perspective qu’exige les décors de ville avait été mon quotidien jusque-là. Par exemple, tu sues pour dessiner une voiture bien en perspective avec les bons raccourcis, le bon axe des roues, tous les petits détails de la calandre… et ça doit être nickel parce que si tu te plantes un petit peu, le lecteur le verra. Il ne pourra peut-être pas te dire pourquoi, mais il le verra. Cette exigence peut être usante à la longue. Pour Asgard, je me lance dans quelque chose de plus organique. En dessinant un cheval, ou une baleine, tu travailles sur le vivant, ça lorgne plus vers le dessin d’observation. J’ai eu le sentiment de revenir aux fondamentaux du dessin. Le fait de pouvoir composer ces images sans me focaliser sur les verticales et les horizontales des buildings, des voitures et des routes asphaltées, je l’ai vécu en effet comme une libération ! Je pouvais enfin entrer dans la matière. Avoir un travail sur les étoffes, le vent, la roche, toutes ces choses que je n’avais pas tellement eu l’occasion d’approcher. À l’échelle des détails de New York dont je parlais plus haut, ce sont ces choses qui tout à coup confèrent une forme de véracité à l’univers que tu proposes. Le réalisme pour le réalisme, je n’y vois pas d’intérêt particulier, ce que j’aime, c’est au contraire utiliser les règles du dessin réaliste au service d’une création, d’une vision fantasmée. Un des mes premiers profs de dessin m’a dit cette phrase qui m’a marqué à vie : « Dessiner, c’est tricher. » Pour qu’une image génère une émotion, il faut impérativement pouvoir sortir du réel pur, biaiser.

LOT n°23
RALPH MEYER
UNDERTAKER,
L'Indien blanc (T.5)
Dargaud 2019
Au bord de la rivière,
illustration originale. Signée.
Encre de Chine sur papier
33,7 × 43,8 cm (13,27 × 17,24 in.)
Toujours dans le style des…

Fiche détaillée
Après cette parenthèse, le croque-mort de western a pu voir le jour. Lui aussi, loin des univers urbains. Et donc, dans l’organique. Mais avec un soin tout particulier apporté à l’organisation de la page, à la mise en scène.
Faire un western était un fantasme de longue date, un genre qui me fascine depuis l’enfance avec les films qui passaient dans l’émission d’Eddy Mitchell, « La dernière séance », la lecture de Lucky Luke, de Blueberry, de Comanche et plus tard, la découverte des grands peintres américains comme Frederic Remington, N. C. Wyeth, Edgar Payne ou encore de magnifiques romans tel que Lonesome Dove de Larry McMurtry. Mais pas facile de passer après des monstres comme Giraud, Jijé, Hermann, Boucq, Rossi… Il m’aura fallu pas mal de temps pour oser, mais je ne le regrette pas ! Plus j’avance dans mon métier et plus je passe de temps sur la mise en scène. Je travaille mes story-boards dans de petits cahiers. Je pars du principe que si ça fonctionne à ce format-là – qui plus est sans dialogues –, c’est gagné au grand format. Avant cela, je re-découpe le scénario d’une page en strips, le premier jet est donc couché sur un timbre-poste ! Le moment du story-board dans les cahiers moleskine, c’est le moment où je fournis le plus gros travail, mais il ne doit pas se voir. La bonne mise en scène est invisible, elle permet juste au lecteur d’être pris dans l’histoire. C’est assez ingrat. C’est comme pour les attitudes des personnages, je refuse de les faire surjouer. Je suis plutôt un adepte de la direction d’acteurs façon « less is more ». Une fois le travail satisfaisant dans le carnet, je le scanne, j’agrandis les dessins et je m’en sers à la table lumineuse pour composer la planche en grand format.

Peut-on définir une bonne mise en scène en bande dessinée ?
Une bonne mise en scène, c’est comme la salle des machines d’un paquebot. On ne la voit pas mais elle te permet de faire un voyage tout en fluidité. Cela se joue aussi dans l’espace vierge entre les cases où tu dois laisser de la place au lecteur, pour qu’il soit actif dans sa lecture. C’est une différence majeure avec le cinéma. Pour le type d’album que je fais, qui tourne entre 50 et 58 pages avec une moyenne de 8-9 cases par planches, je ne peux pas me  permettre de sur-découper les séquences. Le défi serait plutôt de n’avoir que des cases « utiles ». On est loin de la logique du format « roman graphique » qui peut se rapprocher d’un découpage cinématographique.

LOT n°19
RALPH MEYER
UNDERTAKER,
L'Indien Blanc (T.5)
Dargaud 2019
Planche originale n°35. Signée.
Encre de Chine sur papier
41,1 × 56,2 cm (16,18 × 22,13 in.)
Sur cette planche,
Ralph Meyer ne perd jamais Jonas…

Fiche détaillée
On a évoqué Giraud plus haut, dont on sentait l’influence dans certaines des pages de la série IAN. Sur Undertaker, c’est difficile de ne pas penser à lui. Blueberry est un immense western. Et a véritablement marqué le genre dans le monde de la BD franco-belge.
Oui, Giraud est une de mes influences majeures, je pourrais difficilement le nier. Lorsque j’ai commencé Undertaker, je me suis rappelé que Giraud lui-même avait mis une dizaine d’albums avant de s’affranchir de l’influence de Jijé, son mentor. Je savais qu’il me faudrait du temps pour y arriver aussi. Pour être honnête, depuis an ou deux, je me suis rendu compte qu’entendre constamment parler de la filiation avec Giraud commençait à me fatiguer. Je travaille pour l’instant sur le sixième album de la série et j’ai enfin le sentiment d’aller dans une direction qui m’est propre, notamment par l’usage du pinceau sec. Je suis quelque part en train de commencer vraiment l’aventure, de découvrir des terrains plus vierges. Par contre, en ce qui concerne la manière de raconter, je crois que la différence est nette depuis quelque temps déjà.

Le genre lui-même est pétri d’images déjà vues, de poncifs, d’archétypes. Comment donner le sentiment d’y amener quelque chose de neuf ?
Le choix de mettre en avant un croque-mort nous a permis très vite d’amener une certaine fraicheur, voire un franc décalage dans les passages obligés du genre. Je crois aussi que la manière de raconter fait beaucoup. Si on parle de Blueberry, Jean-Michel Charlier était très ancré dans l’histoire du Far-West. Xavier, lui, utilise le western et ses décors pour aborder des thématiques qui l’intéressent et qui résonnent avec le monde d’aujourd’hui. Le premier Undertaker, est un questionnement sur cet homme qui veut être enterré avec son or : il ne fait rien d’illégal, en soi, mais est-ce que c’est juste de faire ça quand tous les mineurs qui travaillaient pour lui crèvent de faim ? Quand tu es le dessinateur d’un tel récit, tu n’es pas pris dans les enjeux déjà traités par Jijé ou Giraud. Tu te rapproches plus de la manière d’envisager le genre de Jodorowski et Boucq sur Bouncer, le côté trash en moins.

LOT n°18
RALPH MEYER
UNDERTAKER,
Le Cycle du mangeur d'or
(Intégral T.1)
Bruno Graff 2016
Couverture originale
du tirage de tête. Signée.
Encre de Chine sur papier
28 × 45,8 cm (11,02 × 18,03 in.)
Cette couverture…

Fiche détaillée
Dessiner pour une vente comme celle-ci, ce n’est pas la même chose que réaliser les planches d’une aventure d’Undertaker. Qu’est-ce qui change ?
La liberté. Sur un album, il faut une discipline, une grammaire graphique qu’on ne peut pas bousculer pour un oui ou pour un non. Et puis, il y a des images qu’on a en tête qui ne peuvent pas rentrer dans le cadre de l’album. Il y a donc plusieurs sources de motivation à créer ces images : changer ma routine en abordant des techniques et des formats différents. Cela passe par des illustrations en noir et blanc qui vont plus loin dans les recherches de trames, de textures et d’autres en couleurs à l’acrylique, à la gouache ou à l’aquarelle où je peux tenter de nouvelles gammes. Cet espace entre deux albums où je peux faire plus de recherches m’est indispensable et m’amène souvent de nouvelles idées pour la réalisation de l’épisode suivant. Un projet comme celui-ci permet de pousser tous les curseurs plus loin. Les images du catalogue ont pour la plupart été l’occasion de me faire plaisir. C’est le moment où tout ce que je n’ai pas pu faire dans les albums atterrit sur la feuille.

Ralph Meyer est-il lui-même collectionneur d’originaux ?
Eh bien oui. Cela doit faire une quinzaine d’années, maintenant. Mon premier original a été un strip de la série Steve Canyon de Milton Caniff datant des années 50. Depuis, je collectionne les grands maîtres américains du noir et blanc comme Caniff, Frank Godwin ou Alex Raymond, les maîtres argentins comme Alberto Salinas, Arturo Del Castillo et en Europe, Jijé, Christian Rossi, André Juillard… Mais il y en a encore pas mal que je recherche comme Noel Sickles, Alberto Breccia, Jean Giraud, Hermann, Hugo Pratt… Évidemment, là, ça devient plus difficile, quand on voit leurs cotes actuelles ! Est-ce qu’être soi-même collectionneur d’originaux change le regard sur ce type de vente et sur la bande dessinée en galerie ? Indéniablement. En tant qu’acteur de ce marché avec une double-casquette – celle de producteur d’originaux et celle d’acheteur –, je suis attentif à la manière dont il évolue. Cela fait maintenant une dizaine d’années que je travaille avec la galerie Daniel Maghen. À l’instar de ma relation avec mon éditeur Yves Schlirf, je cherchais un galeriste avec qui travailler sur le long terme. Daniel m’a convaincu par son enthousiasme et son grand professionnalisme. C’est grâce à des passionnés comme lui ou Olivier Souillé que le marché des originaux se pérennise un peu plus chaque année. Aujourd’hui, je ne peux qu’être ravi du travail qu’il a accompli ! La dernière expo à la galerie, il y a quatre ans maintenant, a été un joli succès. C’est très agréable, cet aspect du métier qui met peut-être un peu plus en avant tout le travail effectué sur une planche. Lorsqu’elle est perdue au milieu des autres dans l’album, elle est lue assez rapidement. Et pour être complet, être en galerie me pousse à aller plus loin dans mes planches comme dans mes illustrations.

LOT n°12
RALPH MEYER
UNDERTAKER
La Danse des vautours (T.2)
Dargaud 2016
Peinture originale utilisée
pour la couverture du
tirage de luxe. Signée.
Acrylique sur toile
81 × 101 cm (31,89 × 39,76 in.)
Réalisée à…

Fiche détaillée
Peut-on dire qu’il y a un bon moment pour une vente comme celle-ci ?
Je ne peux parler que pour moi. Cela arrive à un moment qui me semble adéquat, en ce qui me concerne. En 2020, Undertaker fête son cinquième anniversaire. C’est encore très jeune pour une série, mais lorsque je vois l’enthousiasme qu’elle a suscité en si peu de temps, j’ai le sentiment de vivre un rêve éveillé. Près de 600 000 albums vendus en langue française, de multiples traductions à l’étranger… et un plaisir à dessiner cet univers qui ne faiblit pas ! J’espère que les pièces proposées à la vente en seront un bon exemple. Cela fait quelque temps que Daniel me parlait de cette envie de faire un catalogue dédié à mon travail. J’en suis très honoré. Après ceux qu’il a consacrés à Gibrat, Rosinski, Mirallès et Juillard, j’y vois une belle preuve de confiance de sa part.

Pour conclure, la BD, c’est de l’art ?
La BD est un art, oui j’en suis convaincu. Je crois que bon nombre d’oeuvres sont et resteront de grands classiques, au même titre que ceux de la littérature ou du cinéma. Et en obtenir un fragment original est et restera un graal pour beaucoup.



Catalogue spécial Ralph Meyer de la vente live bande dessinée et illustation du 19 novembre 2020 à 15h
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jeudi 19 novembre 2020 15:00
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